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Casseuse de party

On avait du fun. Il faisait beau et chaud, mais pas trop chaud, juste assez pour être bien. On avait beurré les p’tits de crème solaire, paqueté le sac à dos de couches, de vêtements propres et de serviettes de plage. Même nous, on avait notre maillot, c’était rare, ça. On était prêts. YOUUUUUUHOUUUUUUUUUUUU! On s’est lancés en criant dans les jets du jeu d’eau du village voisin. J’avais le p’tit en porte-bébé et j’étais prête à me mouiller ! L’eau était tiède, presque chaude. On avait les jeux d’eau pour nous tout seul. Les p’tits riaient fort, on s’arrosait et on se courrait après. Je nous trouvais ben chanceux ! On était heureux. J’aurais voulu que ce moment dure longtemps.

C’est à cet instant que je l’ai aperçu. Mon sourire s’est évanoui. Mon moral s’est brusquement assombri. Je ne pouvais l’ignorer, elle me sautait aux yeux. Elle me faisait des gros yeux. Mon ombre. Grosse, difforme. Petite tête, gros corps. Je la trouvais hideuse. Pourtant, je me sentais si bien, si libre il y avait deux secondes à peine, avant que la réalité me jette ma propre graisse au visage. Je cherchais d’où provenait cette discordance entre ma réalité et celle qui se reflétait sur l’asphalte. Cette vision soudaine s’infiltrait tel un nuage sombre qui annonce l’orage dans ma douce journée. Je me dégoutais. Mon chum doit être gêné, que j’me suis dit. Les gens ne doivent pas comprendre ce qu’un aussi beau gars fait avec une p’tite grosse comme moi. Pis le p’tit gars qui fait la surveillance pour la ville, je l’ai vu me regarder. Il doit être plein de préjugés, le grossophobe. L’heure du souper approche, je lui ai certainement coupé l’appétit. À l’instant où je me ressasse ces ignobles pensées, mon bouton de short se rompt. Signe que je n’exagère pas. Je suis une boursouflure immonde. Je devrais aller me réfugier dans un bunker à l’abri des regards. Un peu de respect pour les autres quand même ! Est-ce que quelqu’un a le goût de regarder mes grosses cuisses flacotantes ? Pas à ce que je sache. Est-ce qu’on m’a demandé de dévoiler ma grosse face pleine de doubles mentons au grand air ? Je ne crois pas, non. Est-ce qu’on m’a permis de déambuler dans ce parc avec ma bedaine pleine de graisse post-accouchement et de cellulite visqueuse ? Crisse non.

Comme je suis triste.

Ça, c’était moi il y a un an. Fort heureusement, j’ai parcouru plusieurs kilomètres sur les routes de la bienveillance envers moi-même depuis. J’étais loin de me traiter comme une amie avant. Maintenant, je suis davantage douce, compréhensive, empathique et encourageante avec moi. Il y a un an, mon estime était en miette. J’ai beaucoup travaillé dessus. J’ai appris à me connaître. J’ai troqué les comptes fitness que je suivais sur les réseaux sociaux par des comptes sur la grossophobie et l’alimentation intuitive. Parce qu’on va se le dire, la grossophobe, c’était moi ! Dans mon processus de changement, j’ai carrément cessé les régimes. Ça semble aux antipodes de mon problème d’estime de moi et du désir d’être mince hein ? Mais pas pantoute, je t’explique ! Dans ce cheminement, j’ai compris que je me faisais du mal en privant mon corps des aliments que je croyais à tort « non santé ». En suivant une diète, je m’obsédais sur l’objectif ultime de maigrir. Je renonçais à une tonne d’aliments que j’affectionnais. Dans les moments plus difficiles ou les occasions spéciales, je me permettais un repas qui n’était pas sur la liste de ce que le régime me permettait de manger. Et c’est là que ça dégénérait. Je suis du type « tout ou rien ». Je me disais toujours : « j’ai triché, autant continuer.  ». Il n’y avait plus de fin. Je n’arrivais pas à atteindre une zone grise confortable. Je vivais constamment dans le déséquilibre. Le lendemain de « mes tricheries », j’avais les remords et la culpabilité dans le fond de la gorge. Je me trouvais lâche et conne d’avoir fait un écart de conduite. Je me promettais de manger moins ce jour-là. Mais ça ne fonctionnait pas. Tôt ou tard, je retombais dans le même pattern. Il suffisait d’une bouchée interdite afin de pénétrer dans ma déchéance gloutonne. Je reportais mon régime au lendemain. Devine quoi ? Ben oui, le lendemain j’échouais encore. Pis tant qu’à être déjà vendredi, je décidais de me lâcher « lousse » une dernière fois et je remettais ça au lundi. Je me goinfrais sur un méchant temps. Mon estime dégringolait. J’avais quand même espoir que ce nouveau régime prometteur allait être le bon ! Lundi arrivé, je me bottais les fesses, je me restreignais en suivant mon nouveau programme à la lettre. Mais ça ne durait pas. J’avais l’impression d’être dans le film Le jour de la marmotte. La même rengaine encore et encore et encore. J’en avais ma claque de tous ces efforts qui n’aboutissaient pas. J’étais à bout de cette idée fixe de vouloir perdre du poids à tout prix. Je croyais dur comme fer qu’en éliminant ces trente, quarante livres en trop, j’allais être foncièrement heureuse et que ce bonheur ne me quitterait plus. J’étais prisonnière d’une spirale incessante qui, à long terme, me noyait impitoyablement dans la honte. Même si je ne souffrais plus d’hyperphagie, je comprenais que ma relation avec la nourriture était à améliorer au plus crisse. Toute l’énergie dépensée à réfléchir sur la façon de mincir et à penser à mon alimentation me grugeait l’âme. C’était rendu pesant en sacrament.

Un an plus tard, avec mes nouveaux schémas de pensées et sans programme alimentaire privatif, je trimballe dix livres en moins. Je continue à caresser une représentation de mon apparence moins imposante. Je ne renonce pas à l’image idéale que je me fais de mon corps, cependant, la différence à ce jour est que je ne suis pas pressée. Je mange de tout et je demeure réaliste dans mes attentes. Je peux tout de suite me résigner à un ventre plat et lisse, car ce corps a mis au monde deux enfants et je sais que mon historique de désordres alimentaires a engendré des changements physiques dont je n’ai aucun contrôle. Même chose pour mes bras et mes mollets. Génétiquement, la graisse s’y accumule facilement. Il me reste à l’accepter. Tranquillement, mais sûrement, mon poids se stabilisera à un poids dit « naturel ». J’ai bien hâte d’y arriver, mais, en attendant, j’apprécie ce que mon corps fait pour moi. Je suis capable de m’amuser avec mes enfants et mon chum dans un jeu d’eau, je peux les attraper, courir, sauter, tourner et danser ! J’te dis pas que je suis 100% à l’aise en maillot. Mais ce n’est plus la silhouette créée par mon ombre qui va gâcher mon party. À présent, je considère que mes comportements alimentaires sont en symbioses avec ma santé physique et mentale . Tu parles d’une chance ! Il est où le bonheur hein ? Il est drette icitte!


Pis tsé, quand on y pense, qui a décidé que, pour être heureux, on devait être mince ? Qui a dit que le gros doit maigrir et que le mince doit sourire ? Il faut absolument mettre cette idée au recyclage.

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