
Karine Nadeau
Comment je m’en suis sortie pour vrai
- février 5, 2023
- , 7:52
- , Articles de blogue, Blogue
La descente au creux des TCA est sinueuse, incalculable. Autant que la remontée. Ça prend pas mal de courage et, surtout, de bons appuis sur lesquels on peut rebondir après les rechutes.
Le courage ne vient pas tout seul. Je crois que ça prend un désir profond de vivre mieux ainsi que des circonstances de communication favorable. Ça peut devenir confortable en titi le déni.
C’est à l’été de mes 15 ans que ma mère m’a réveillée. Endormie et obnubilée par l’anorexie, la maladie m’amenait un faux sentiment de plénitude. Même si je fonctionnais à moitié, (aménorrhée, obsession par les calculs de calories, perte de cheveux, froid extrême en période de canicule, monomanie du chiffre sur la balance, énergie à son plus bas) je ne me voyais pas revenir en arrière. Tout ce chemin parcouru, l’aboutissement d’une silhouette qui faisait tourner les têtes (à la fin les gens se retournaient par curiosité morbide, je l’ai compris pas mal plus tard), je ne me voyais pas reprendre du poids, surtout que la peur de la perte de contrôle de la nourriture me hantait. J’étais loin d’être outillée pour parvenir à reprendre du poids et faire la paix avec cette idée.
On m’a forcé. J’étais rendue là, je le sais. Et c’est correct. M’imaginer dans les bottines de mes parents, de mon frère, j’ai peine à sonder la peine et le sentiment d’impuissance que je leur faisais subir. Ma famille a pris des moyens avant que je sombre et meurt de cette maladie. Physiquement, j’étais sauvée. Mentalement, pas pantoute.
La boulimie, l’hyperphagie qui s’en sont suivis, des années durant, NE SONT PAS des passages obligés pour vaincre l’anorexie. Chaque personne vit la maladie singulièrement. Tout comme le rétablissement. Au final, l’important c’est les petits pas vers l’avant. Et chacun d’eux est d’une importance capitale.
C’est lors d’une crise d’hyperphagie, des années plus tard, que j’ai eu mon propre wake up call. J’avais eu un solide black-out alimentaire, comme il m’en arrivait chaque semaine. Celui-là était de trop. Je n’en pouvais plus de souffrir autant. Je ne savais pas comment cesser cette tempête qui me démolissait. Je venais de dévorer à peu près tout du contenu de mon frigo et du garde-manger. Mon estomac était distordu à un point où je peinais à respirer. Je me tortillais de douleur en attendant que cette lancinante douleur s’estompe. « Je dois me haïr en tabarnak pour me faire subir ça. » Cette pensée m’a menée vers une prise de conscience soudaine. J’étais à bout. Pour me relever de ça, je devais consulter. Mais je ne savais pas par où commencer.
De nature débrouillarde, je me suis retrouvée sans ressources. Était-ce trop challengeant? Sûrement. Des recherches sommaires m’auraient vite dirigées vers ANEB ou la Maison L’Éclaircie. J’ai pourtant débuté par mon médecin de famille, qui m’a dirigée vers une psychologue et un psychiatre. La glace était brisée. Par mes propres moyens, j’ai ensuite assisté à des rencontres des Outremangeurs Anonymes. Quelques années plus tard et sur plusieurs années, j’ai vu une travailleuse sociale, deux autres psychologues et une nutritionniste. Chaque personne, chaque thérapie m’ont aidées à cheminer. Ces personnes m’ont apportées de nouvel angle d’attaque à adopter. Elles m’ont fait réaliser des choses sur moi-même que j’ignorais complètement. Parfois, c’est une simple phrase qu’elles m’ont dites qui résonnait très fort en moi et qui m’acheminais vers une nouvelle étape de cicatrisation. Chaque petit pas compte. Les crises alimentaires ont rapidement cessé.
J’ai longtemps cru que mon chemin de bataille c’était ça, les TCA. En fait, non. Je croyais que mon vrai problème était mon poids. Tout dans mon environnement externe corroborait mes motivations de vouloir être plus mince. Mes collègues qui « faisaient attention », les diètes magiques dans les revues « Soyez prête pour les Fêtes : perdez 15 livres en 4 semaines », la publicité de toute sorte (l’alimentation, la mode, les produits de beauté, les articles de luxe, les gyms, etc.), les artistes et vedettes que j’admirais et qui fittent (la très grande majorité) dans le même moule. C’est normal de vouloir correspondre à ce moule. Le sentiment d’appartenance et la reconnaissance règnent dans nos besoins fondamentaux. Pour y parvenir, c’est logique qu’on tende à suivre les tendances, les recommandations que la société prône et valorise. Mais on a le droit de se donner le droit d’aller à contre-courant. Je me suis donné le droit de me dire : « FUCK LE MOULE ».
À travers toutes les maladies des TCA dont j’ai souffert, j’ai appris à me connaitre, à comprendre mes enjeux, mes triggers. C’est un combat d’une vie. La boulimie, l’orthorexie, l’hyperphagie et l’alcoorexie ont été des variations de ma maladie. Au final, peu importe le TCA avec lequel je me débattais, la cause demeurait la même. Je n’allais pas bien mentalement.
L’autre jour, je ne sais même pas pourquoi, je suis embarquée sur la balance. Pour la première fois de ma vie, je n’appréhendais pas. Pour la première fois de ma vie, le chiffre qui s’est affiché à ma vue ne m’a fait aucun effet. Je n’étais pas en colère, je n’étais pas triste, je n’étais pas surprise, je n’étais pas contente. J’étais neutre. J’ai su à ce moment que je venais de franchir une grande étape.
Est-ce qu’en ce moment je suis 100% à l’aise dans mon corps? Oui et non. Ça dépend des jours. Ça dépend des vêtements que je porte. Ça dépend de l’activité que je fais. Ça dépend de mon mood cette journée-là. Mon corps est en mouvance. Il n’est pas statique. Mon poids non plus. J’accepte ce phénomène. Comme quoi se peser chaque jour ne fait aucun sens. Notre poids fluctue d’heure en heure, de jour en jour.
Jamais je n’aurais cru possible, un jour, peser un tel poids et être heureuse. Je suis grosse et, pour la première fois, mon but premier n’est pas de maigrir. Au lieu de faire le focus sur mon physique, je m’attarde à mon ressenti. Avec le temps, j’ai compris que mon estime personnelle conjuguée à l’anxiété était des raisons majeures de mes comportements problématiques avec la nourriture et la perception que j’avais de mon corps. J’ai pris des mois et des années à cultiver cette estime qui, aujourd’hui, se porte plutôt bien. L’anxiété demeure un obstacle à mon épanouissement. Heureusement, mon coffre à outils est plein et je sais comment en amoindrir les répercussions.
Est-ce qu’un jour je serai 100% à l’aise avec mon corps? Peut-être. Je reviens de loin. J’me donne le temps.
Chaque petit pas compte.
Share this post
Partager :
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre)