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Exercice qui fait du bien # 36

Retirer de la fierté

D’un pas assuré, je franchissais le portail de l’hôpital en direction de mon humble demeure. C’était la fin de mon travail. J’étais heureuse d’aller retrouver les miens. En m’excusant aux patients, je traversai la file d’attente qui se pressait devant l’admission. Quelqu’un à ma droite parlait. La personne parlait seule. Curieuse, je regardai la dame qui planta alors ses yeux flous dans les miens. « Je veux mourir ».

Sur mon air d’allée, je continuai ma route. Je ralentis. Avais-je bien entendu ? Un effroyable sentiment de déjà-vu m’assaillit. Je me retournai, observai la scène d’un œil interrogateur. Une autre dame, campée devant la femme en détresse, me fit signe de revenir. Nous avions bien entendu. Je n’avais pas rêvé. Je retournai sur mes pas. « Allez-vous à l’urgence ? Quelqu’un va pouvoir vous aider. C’est le bon endroit où aller, ils vont prendre soin de vous. » Non rassurée, j’allai à la rencontre du gardien de sécurité. « Cette femme m’a dit qu’elle veut mourir. » En prononçant ses mots, je la vis piquer vers la sortie de l’hôpital.

Au pas de course, mon nouvel acolyte et moi la poursuivions. Nous la prîmes en sourcilière. « Qu’avez-vous dit plus tôt ? » questionna doucement le gardien à la dame. D’une mini voix, elle souffla « J’ai envie… ». L’employé de la sécurité et moi échangions un regard incertain. La dame avait l’air confuse et désorientée. J’avais l’impression qu’elle tentait de nous filer entre les doigts. Avait-elle envie d’en finir avec sa vie ? Envie de se suicider ? Envie d’aller à la salle de bain ?? Afin de gagner du temps, mon compère eu la bonne idée de l’entraîner vers les toilettes. J’empoignai mon téléphone et composai le 911. « Service d’urgence 911, pour quelle ville ? ». L’absurdité de la chose me frappa en plein visage. « C’est pour l’hôpital. » « Avez-vous besoin d’une ambulance ? ». « Euh, je ne sais pas ». J’étais aussi confuse que l’inconnue au désespoir. Je l’aperçus alors qui se dirigeait à l’extérieur, poursuivi par le gardien. « J’ai peur pour la sécurité de quelqu’un. » La répartitrice du centre d’appel d’urgence me transféra à la police. Devant son véhicule, prête à quitter le centre hospitalier, la femme expliqua de manière bancale qu’elle avait uriné dans son pantalon et qu’elle voulait mourir de honte. Mon partenaire de crise et moi n’en croyions pas un mot. Son regard fuyant, sa communication non verbale fermée et ses phrases à demi-mot nous faisaient croire au pire.

Elle s’y reprit quatre ou cinq fois avant de réussir à démarrer sa voiture et de quitter le stationnement. Toujours en communication avec le policier, je m’empressai de lui dicter la plaque d’immatriculation et la description du véhicule. J’avais maintenant peur pour la sécurité de tout le monde. Comment cette femme, aussi embrouillée de la sorte, était-elle apte à conduire prudemment? C’était peut-être le froid de l’atmosphère hivernale ou la pulsation dans mes veines à son maximum, je me mis à trembler de tout mon corps.

Après discussion et remerciement pour la précieuse aide du surveillant de l’établissement, je démarrai à mon tour ma voiture. Ma sonnerie se fit entendre. « Allo ? ». C’était le policier. Il venait d’intercepter la dame et l’avait escorté jusqu’à chez elle. Il reconnut le trouble de la femme, elle lui avait raconté la même histoire. C’était une simple expression. Elle voulait mourir de honte.

Prise d’insomnie, cette nuit-là, je me ressassais l’incident en me demandant ce que j’aurais pu faire de plus. Mille et un scénarios me tournaient en tête. Je n’avais pourtant pas rêvé. On ne regarde pas les étrangers, droit dans les yeux, en leur sommant notre désir de mourir pour ensuite leur dire que c’était une blague. J’avais bel et bien perçu un appel à l’aide. Et j’avais fait de mon mieux, au meilleur de mes capacités.

Je me remémorai d’où provenait cet effet de déjà-vu ressenti. J’avais déjà vécu cette situation. Identique. Mais cette fois-là, j’étais beaucoup plus jeune, dans la grande Métropole et j’avais poursuivi ma route en détournant mon attention avec un sentiment de remord profond dans le creux du ventre. J’avais eu peur. Je ne m’étais pas sentie en sécurité d’intervenir dans les rues glauques de l’arrondissement où je me trouvais à cet instant. Je n’avais pas été assez brave pour m’arrêter et sonder l’humain que je venais de croiser. Je m’étais convaincue que j’avais mal entendu. Que la personne se parlait seule (comme un grand pourcentage de gens à Montréal d’ailleurs). Je n’avais pas eu les reins assez solides cette journée-là pour faire face à la musique. Je m’en veux aujourd’hui, de mon inconduite, de ma lassitude envers le monde et de m’être débarrassé ainsi de mes responsabilités. Je me suis toutefois pardonné.

Même si c’est de notre devoir de venir en aide aux personnes dont la vie est en danger, l’expérimenter en vrai, c’est épeurant. Ça laisse un goût amer dans la bouche. Faire face à une personne en crise, en proie à un problème de santé mentale précaire, sans plus d’outils dans sa trousse et agir avec le gros bon sens, ça reste, selon moi, un geste qui demande du sang-froid. Ce soir-là, même si j’ai mal dormi, même si je me suis imaginé une multitude de dénouements plus satisfaisants, j’étais fière d’avoir agi. J’avais la preuve que je me sentais assez ouverte au monde pour intervenir. J’avais utilisé ma sensibilité, que j’ai tant maudite dans le passé, pour empathiser sur le désarroi de la pauvre dame qui vivait un drame silencieux. J’avais demandé de l’aide pour venir en aide à cette femme. C’est aussi ça la bravoure, reposer dans les mains d’experts les problèmes qu’on ne peut surmonter seul.e. Cette nuit-là, j’étais fière de moi.



2 Replies to “Exercice qui fait du bien #36”

  1. Un soir, en train de prendre un verre avec des amis dans un bar connu de la ville, on a été témoins d’une scène qui nous a immédiatement rendus inconfortables. Une fille, en état d’ébriété, essaie de repousser un gars, qui la ramène contre lui sans relâche. Il est avec un autre, lui rigole, l’autre ne fait rien. On intervient : « c’est son ex, il peut bin lui parler si il veut ». Ok, mais clairement elle, elle ne veut pas. Elle est saoule, elle a peur. Elle veut s’en aller. Mes amis bloquent le chemin au gars pendant que j’amène la fille vers un taxi tout près. Il lui crie qu’elle capote pour rien, elle pleure, elle a tellement peur qu’elle ne veut même pas embarquer dans le taxi seule. Sans avoir à réfléchir, j’entre avec elle dans la voiture, et je rentre la reconduire chez elle, en sécurité. Mon ami est venu me récupérer avec sa voiture. On est tous partis chez soi, certains d’avoir fait la bonne chose. 💛

  2. J’ai des frissons! Quel beau dénouement! Vous avez probablement sauvé cette fille d’un très mauvais cauchemar qui l’aurait traumatisé pour de longues années. Bravo d’avoir barré le chemin à ce gars-là qui visiblement voulait profiter d’elle! Vous êtes des héros!

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