Imposteur

La vie est rose bonbon, parsemée de p’tits arcs-en-ciel pastel dans un crépuscule beau à s’en émouvoir. Un doux parfum de pivoine et de lilas teinte l’atmosphère. Les licornes galopent, fièrent, tout sourire. Leurs échos de rires forment une musique enchanteresse rappelant la chanson « Only Time » d’Enya. Tout le monde est heureux, généreux, empreint d’altruiste et se nourrit de laitue fraîche, de fruits locaux bio, de blé entier équitable, de tofu fermenté, de kéfir et de kombucha maison.
Buuuuuuuuuullshiiiiiiiiiiiiiiit !
Salut, je m’appelle Karine pis j’suis le cordonnier mal chaussé. J’suis là à polir tes belles chaussures vernies pis moi, j’me promène avec mes godasses dégueulasses pleines de bouse de vache, usées à la corde. Je suis le mécanicien qui rend les voitures parfaitement réparées et pimpée et qui roule dans sa vieille picouille rouillée crachant de la boucane noire et qui étouffe à chaque stop. Je suis le chef cuisinier qui façonne de somptueux mets cinq étoiles et qui s’ouvre une canne de chef Boyardee périmée à la fin de son chiffre. Je suis un vieux sage, un maître bouddhiste vénéré par ses pairs qui enchaîne les saintes citations en sacrant aux deux phrases avec son accent d’la Beauce gros comme le bras. Ça fait pas ben ben crédible, avoue ! J’ai le syndrome de l’imposteur. Big time my dear !
Souvent, entre ce que j’écris pis ce que je fais il y a une marge ondoyante. On me trouve dont courageuse de partager mes souffrances. On me dit que j’ai une belle plume, que j’ai l’âme charitable. Pour dire vrai, j’ai toujours le réflexe de regarder derrière moi pour savoir si on ne s’adresserait pas à quelqu’un d’autre. Quelqu’un dissimulé dans mon dos que je n’aurais pas vu à qui ont attribueraient volontiers toutes ces glorieuses qualités. Quand je réalise que les mots articulés me sont voués, je fais rebondir les mérites sur mon interlocuteur ou sur une autre cible. Je n’ai pas l’impression d’être digne de ces récompenses verbales. J’suis qui moi pour me percevoir forte, courageuse avec une écriture accrocheuse ? Hein ? Surtout pas celle qui s’assume en tout cas !
Ça me fait drôle de te dire que je suis en période de rétablissement quand j’ai la main qui touche le fond du sac de chips et de l’autre qui racle le pot de crème glacé. Je comprends que j’ai de mauvaises passes. J’ai hâte en sacrement qu’elles passent ces mauvaises passes. J’ai peur d’avoir l’air parfaite quand j’te dicte ce qui fonctionne et ce qu’on doit accomplir pour acheminer dans la volupté du bien-être profond, quand dans le fond, je n’ai pas l’impression d’être un exemple à suivre.
J’ai survécu à mes tempêtes, mes tornades, mes sècheresses, mes tremblements de terre pis mes inondations. J’ai surmonté les coups durs des TCA, comme on affronte des séismes naturels. On baisse la tête, on ferme les yeux, on avance à tâtons en espérant qu’on ne recevra pas un coup de pelle fatidique en pleine face. Là, à l’heure où j’écris ces mots, je me sens en latence, en hibernation tapie dans un hiver interminable où le froid et la clarté se côtoient dans une unicité mélodieuse. Ce n’est pas désagréable, mais ce n’est pas l’endroit rêvé non plus.
T’sais, se nourrir, cet acte quotidien qui semble si simple pour certains et qui est si fastidieux pour d’autres, ce n’est rien d’autre qu’une montagne russe pour moi. Des fois, ça va, je réussis à garder la tête hors de l’eau. Mais d’autres fois, mon esprit est submergé dans un abyssal des fonds marins. Il fait noir comme dans le cul d’un ours. Je peux facilement prédire précisément le moment où la déferlante va me tomber dessus. Lorsqu’il y a un imprévu dans ma vie, un truc poche qui arrive dont je n’ai aucun contrôle, la vague me tape de plein fouet. Récemment, le stress, l’angoisse, l’incertitude, la colère et l’impuissance m’ont envahi. Au lieu d’accueillir et d’accepter l’inconfort de mes ressentis, j’ai mangé dans le but inconscient de détourner mon attention et mes pensées vers une source de réconfort rapide. Je ne me frotte plus à l’impulsivité aveuglante qui me fait vivre des black-out d’orgies alimentaires. Out forever les compulsions. Par contre, je flirte souvent avec la démesure de ma faim, un mélange d’engourdissement et d’un trop-plein d’émotions en permanence. C’est ça, mon réflexe, quand j’vais mal, je remplis mon vide intérieur avec de la nourriture, là où se déploie un gouffre engendré par les nombreuses émotions négatives non digérées. Sur le coup, j’ai le sentiment de récompense et d’apaisement. S’ensuit une culpabilité qui m’embarque dessus comme une grosse glue gossante et collante. J’ai vite honte de moi, de mes excès alimentaires et de mes joues qui élargissent.
Dans le fond, ce subterfuge que je m’offre à répétition n’est que de la poudre aux yeux pour attirer mon attention vers des soucis dont je connais déjà le refrain. Dealer avec mon poids, mon image, ma confiance en moi-même… been there, done that. Inconsciemment, je m’entraîne moi-même dans cette situation afin d’occulter le vrai problème. Composer avec mes maudites émotions négatives pis l’angoisse sourde qui me gronde dans le ventre. C’est ça le big deal ! Pis à force de prendre un détour d’évitement, je me sens le cœur poqué qui repose sur une liste d’attente interminable pour l’opération de cicatrisation de blessures et de deuils non résolus. J’ai l’impression d’avoir une bombe à retardement dans le plexus solaire et la tête dans un tournis sans fin.
Même si des jours je me sens inadéquate à la mission que je me suis assignée, que je rush à comprendre mes comportements, je continue tant bien que mal à m’accrocher parce que je sais qu’un jour j’arriverai à atteindre l’équilibre. Je rêve du moment où je serai à l’écoute active de mes sens, mes émotions, mes pensées et mes envies et que j’oserai affronter mes bêtes noires. J’arriverai à les endurer sans les manger. Pis mon histoire, c’est la mienne, elle m’appartient. Le syndrome de l’imposteur peut bien aller paître ailleurs si j’y suis !