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À l’époque où j’étais hyperphagique boulimique, 2012

Le combat d’une vie

Flashback. J’ai 15 ans. Je suis anorexique et j’ai un désir de contrôle absolu. Contrôler ma vie, contrôler mon corps. Je mesure 5 pieds 2, je pèse 85 livres. Je consomme 500 calories et moins par jour. Je calcule tout ce que j’ingère. J’ai froid jusqu’aux os. On est en plein juillet et je gèle. Mes cheveux tombent, mes menstruations cessent. Je joue à la cachette avec tout le monde: « Oui oui j’ai déjà mangé. » Ma routine alimentaire: rien au déjeuner, 30 grammes de couscous et une pomme pour le dîner et un sandwich ‘’sec’’ aux tranches de concombre pour souper. Des fois, pas de souper. Je flotte dans mes vêtements. Mes parents et mon frère sont inquiets. Ma mère pleure. Je suis forcée à reprendre du poids. Ça ou l’hôpital. Je consulte un médecin, une nutritionniste. Mon poids grimpe à 105 livres. Crisse que je me trouve grosse.

J’ai 16 ans. Je suis en voyage d’échange étudiant en Colombie-Britannique. Je m’ennuie de ma famille, de mes amis, de Nico, mon nouveau chum. Je m’isole. Je mange en cachette. J’avale des céréales compulsivement, j’achète deux grosses galettes au café du coin, quotidiennement, avec un grand latté au caramel salé s’il vous plaît, merci. Je perds le contrôle. Je pèse 160 livres. De retour au Québec, ma mère ne me reconnait pas à l’aéroport.

J’ai 20 ans. Ma mère meurt d’un cancer, ma vie s’écroule.

Je quitte tout. Mes études collégiales, mon chum Nico. Ma première vraie relation amoureuse de trois ans. Allez hop aux oubliettes! Je rencontre un désaxé. Il s’appelle Steeve. Il ne va pas bien. Moi non plus. Je suis vulnérable. Je quitte tout pour le suivre dans un logement minable et sale en ville, loin de ma famille, loin de mes amis. Je me pogne une job de vendeuse au centre d’achat. Steeve me manipule, me contrôle. Je ne vois rien au début. Je suis aveuglée par ma peine et mon deuil que je n’arrive pas à faire. Les agences de recouvrement courent après Steeve. Il préfère nous acheter de la drogue et une télé neuve que de payer le loyer. Ma routine de consommation: pot en entrée, mush pour le souper et speed pour le dessert. Il me bat. Il bat nos chiens. Il y a des trous dans tous les murs de l’appart. J’essaie de m’enfuir. Il me séquestre. Il me tient par la gorge, mes pieds ne touchent plus le sol. Il va me tuer, c’est sûr. Le lâche me lâche. Il s’enfuit. Il s’en va se suicider, qu’il me dit. Je ne veux pas avoir ça sur la conscience. Je cours après lui. Je finis par rester. Le même pattern recommence. Plusieurs fois. Je prends goût à la drogue. Je me gèle pour ne plus rien ressentir.

J’attrape une mononucléose. Je perds connaissance devant la gérante du magasin où je travaille. Je suis slaquée d’la job. Je ne vois plus mes amis ni ma famille. Steeve contrôle ma vie et m’isole. Je consomme plus que jamais. Il me bat plus que jamais. Je pèse 105 livres. J’me trouve hot. Je suis malheureuse as fuck.

Je me réveille avec un black-out total. J’ai des bleus partout. J’ai de la misère à respirer. Je ne me rappelle de rien. On est quel jour? J’suis où? Steeve est où? J’appelle au secours. Ma famille me sort de là. J’ai eu du GHB, je pense que j’ai peut-être été violé, je ne me souviens de rien. Ma tante m’amène au poste de police pour qu’ils prennent ma déposition. Ma tante et mon oncle me prennent sous leurs ailes. Ils prennent soin de moi. Je retrouve la santé. Je reprends du poids. Je retourne vivre en Beauce avec mon papa. Je n’ai plus un sou. Je repars à zéro. Mon père m’aide à recharger mes batteries. Je me remets d’aplomb. Je trouve un emploi, je retrouve mon indépendance. Je ne consomme plus de drogues. Je bois peu, je mange peu.

J’ai 25 ans, je suis à 135 livres. J’habite seule dans un petit appart à Montréal. J’ai terminé mes études en commercialisation de la mode, mes emplois se succèdent, mes flirts aussi. Je mange bien, mais je bois mal. Je bois souvent. Je bois seule. Je vais au bar seule. Je fréquente des gars, des filles, des couples. Rien de sérieux. Je m’en fous. Je remplis mon vide avec l’alcool et le sexe.

Un an plus tard, je rencontre Éric. Je déménage chez lui. Je quitte mon emploi et ma ville. Je joue au yoyo avec mon poids, 130-160 livres, 160-130 livres. Je me gave. Je mange jusqu’à en avoir mal. Je me cache pour manger. J’ai honte de moi. S’en suivent des régimes sévères. Boucher le vide à l’âme avec la nourriture. La fin de semaine, je me saoule. Je suis hyperphagique, boulimique et alcoolique. Je ne m’aime pas.

J’entreprends des démarches pour m’en sortir. Je vois des psys, je fais des thérapies. J’apprends à me connaitre et à identifier mes souffrances. Je fais du sport, j’ai des amis stables, une vie stable. Je vais mieux. Ma relation bat de l’aile. Je ne suis plus amoureuse, je mets un terme à ma relation de 7 ans.

Pis après ça y’a aujourd’hui, 37 ans, follement amoureuse. Je pèse 165 livres. J’ai eu deux grossesses, deux beaux garçons avec David, mon amoureux compréhensif, attentionné et indulgent. J’suis pas toute guérie, mais pas loin. Je suis dépendante à la nourriture. Je suis maintenant mieux équipée pour modérer mes élans lorsque le vide intérieur se fait ressentir. La bataille avec la nourriture perdure mais, mentalement, je vais bien et, surtout, je m’aime enfin!

Qu’as-tu traversé de difficile dans ta vie? Quelles leçons en as-tu tirées?

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