Le fond

Rien ne va plus depuis quelques mois. J’suis fatiguée. J’suis fatiguée, faque je mange plus. J’suis fatiguée, je mange plus, faque je bouge moins. Je bouge moins, je mange plus, faque j’engraisse. J’engraisse, faque je suis plus fatiguée. (L’arbre est dans ses feuilles marilon-marilé, l’arbre est dans ses feuilles marilon don dé !). Je m’enlise dans ce sable mouvant de merde. J’attends. J’attends de toucher le fond, je pense. J’vais le pogner bientôt, j’le sens. Ma mâchoire s’est arrondie, mes cuisses se font siamoises, j’ai le souffle court, je dors mal, j’ai même de la misère à détacher ma brassière le soir. Mes vêtements boudinent mon corps. C’est ce que font dix livres de gain en moins de deux mois. J’avais enfin réussi à maintenir un poids raisonnable dans lequel j’étais bien. Et voilà que des évènements sont venus empiéter dans ma vie bien rangée. Ça m’a désorienté. J’ai perdu mon nord. Je me suis mise en mode survie. Je suis mentalement épuisée. Donc je mange. Je mange de la marde.
Mon chien est mort, comme ça, subitement, sans préavis. C’était son jour de fête, peux-tu croire ? Il avait 9 ans ce jour-là. Je l’avais adopté alors qu’il était petit bébé. Je l’avais tant désirée, mon mini Goldendoodle ! Je l’ai nommé Willy. Je le trimballais partout où je pouvais. Les gens croyaient qu’il était bébé, il avait ce caractère de canin surexcité. Combien de testicules il a écrabouillés en voulant faire un câlin à la visite ! Il était un membre à part égale de notre famille. C’était un bon toutou. Le vide que sa mort a créé me propulse encore dans un désarroi profond quand j’ose m’y replonger. J’ai oublié de lui souhaiter bonne fête ce jour-là. J’m’en veux. Je l’sais ben, c’était probablement le dernier de ses soucis que je lui chuchote « bonne fête » au creux de ses longues oreilles pendantes. Mais pour moi, cet oubli prouve que je le tenais un peu pour acquis. Je crois que, parfois, on pose des actions plus pour nous que pour les autres. Ça aurait été exactement le cas pour ce souhait d’anniversaire. Ne pas oublier la fête de mon chien m’aurait donné un peu de réconfort suite à son départ. On l’a pleuré comme des fous, mon chum pis moi. Suite aux premiers jours suivant sa mort, je l’hallucinais carrément ! Du coin de l’œil, j’apercevais une ombre couchée sur le divan du salon. Pour citer ma collègue/amie qui a elle aussi vécu la perte de son chien et qui a si bien exprimé ce qu’on récent : « j’ai l’impression qu’on m’a amputé de mon ombre ».
Deux semaines suivant le grand départ de Willy, notre grand garçon de 3 ans est tombé sur la tête, résultant d’un traumatisme crânien. Il enfilait sa salopette de neige, il a trébuché et est tombé sur la tête, de tout son long, accusant la chute sur un coin de barreau d’escalier en bois. S’en ai suivi d’atroces symptômes de commotions cérébrales. On a couru les urgences, les hôpitaux et les rendez-vous médicaux. Ils l’ont examiné, ils lui ont fait passer divers tests tous aussi pénibles les uns que les autres. J’en ai angoissé sur un moyen temps. Je ressassais la chute. Je me flagellais pour les gestes que j’aurais pu poser pour éviter le pire. La nuit, je me glissais en catimini dans sa chambre pour m’assurer que sa respiration était régulière. J’étais en mode d’hypervigilance des symptômes. Je notais toutes anomalies. J’avais si peur qu’il se cogne la tête à nouveau que je me prenais pour sa bulle protectrice.
Toute cette inquiétude, tout ce stress accumulé, ces questions sans réponses, cette routine déséquilibrée et les grandes remises en question m’ont emportés dans une tornade pas l’fun pantoute.
Par recherche de réconfort, j’avalais les aliments qui me faisaient plaisir. Plus c’était gras et sucré, plus ils apaisaient mon intérieur. La graisse, tel un paravent contre les menaces externes, engourdissait mon ressenti. J’inondais mon chagrin et mes angoisses avec la nourriture. Alors que mon plexus solaire s’était emmagasiné une protection adipeuse, j’errais dans mon quotidien dans l’attente du réconfort malsain. Le son de cloche a sonné un samedi. Je venais d’engloutir une grosse poutine italienne, au complet. Je feelais tout croche. Saoule de toute cette friture dégoutante, j’en ai eu assez. Il était grand temps que cette autodestruction s’arrête.
Nous avions deux anniversaires à célébrer. J’allais devoir me retrousser les manches. Bientôt, juste après avoir terminé ce délicieux morceau de gâteau, promis. J’ai mangé ma part, celle des p’tits pis les restants des assiettes. Comme une droguée qui aurait échappé son sac de poudre et qui, à l’envolée, licherait son doigt afin de récolter chaque parcelle blanche étendue au sol. J’me trouvais dégueulasse. Je sentais que, lentement, je touchais le fond de quelque chose. Le fond de quelqu’un que je ne voulais pas devenir. Le cœur au bord des lèvres, j’ai dit adieu au crémage du gâteau béni. J’ai préféré nourrir la vraie poubelle. Pas la poubelle par intérim dont je semblais avoir l’ambition de remplacer depuis quelque semaine.
Je n’avais plus de plaisir. Manger était rendu une pure persécution envers moi-même. Tant qu’à m’haïr la graisse, autant le faire en grand ! Je me punissais pour mes compulsions en engloutissant beaucoup trop de nourriture. Je n’avais pas faim. Pas grave. Mon âme lui, avait la faim inconsolable et la satiété absente. La culpabilité prenait le relais. J’en payais le prix. Pis ce n’était pas un prix d’ami. J’usais d’imagination pour me convaincre que tout était pareil comme avant. Me soustraire aux reflets du miroir était une stratégie fort efficace d’évitement. Je pensais sans cesse à un plan pour remonter à la surface. Je devais me battre contre moi-même, ma pire ennemie. Malheureusement, ça ne marche pas comme ça. J’étais encore trop fragile pour entreprendre une démarche de bienveillance envers moi-même. Je contemplais le fond de mon malheur avec une hâte fébrile de m’en tirer indemne.
Un beau jour, comme ça, la vie s’est radoucie. Notre garçon allait mieux, la peine pour Willy s’étanchait tout doucement. J’avais le goût de déployer mes pétales au soleil et de feeler doux comme la saison. J’ai pris un rendez-vous chez le massothérapeute et chez une spécialiste des troubles alimentaires. Je devais me déprogrammer de ces compulsions alimentaires et me réapproprier des comportements adéquats avec la nourriture. Le plus naturellement du monde, j’me suis mis à troquer les biscuits contre des fruits, les pâtes contre des légumes et les grignotages de fins de soirée contre des moments de relaxation avec ma bouteille d’eau pas loin. Je recommençais à marcher la tête un peu plus haute et mon sourire est devenu davantage sincère. Mon être s’est redécouvert une zénitude et un espoir véridique. Je n’ai pas maigri, mais j’m’haïs pu ni de la face ni de la graisse. Je suis fragile, je suis imparfaite, pis j’ai envie d’accepter ce nouveau concept qui me forge.
J’aurais appris, dans ces tumultes, que je suis sensible aux bouleversements. Moi qui me disais forte et résiliente, je me rends compte que c’est à recommencer à chaque nouvelle blessure. Y’a rien d’acquis. Je pensais savoir. Je me pensais bonne. La vie qui dégringole, ça fait toujours mal. Au lieu de me laisser tomber dans un gouffre et de prendre la nourriture pour meilleure amie, de panser ma peine et des angoisses dans la crème glacée, le chocolat et les biscuits, j’ai un nouveau plan. Je vais pogner mon cell pis j’vais rappeler à l’aide. Autant de fois que j’en aurai besoin. J’aurai alors la main tendue vers une source pas mal moins dommageable pour ma santé et mon estime que la malbouffe. La nourriture est bonne, lorsqu’on la traite comme telle. Je ne veux plus jamais me transformer en poubelle, pis ça, même si la vie a encore le goût de me pisser dans’ face.
Le malheur de la vie n’est pas une expérience, mais plutôt une instruction qui permet de mûrir, à condition de vouloir comprendre.
– Inconnu