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À l’époque où j’avais besoin de mon fix de sucre

Les p’tits gâteaux Vachon

Joe Louis, Ah Caramel, Demi-lune et Brownies sont quelques variétés qu’offre le fabricant des gâteaux Vachon. Quand j’étais petite, avec ma famille, on se tapait une heure et demie de voiture aller-retour pour se rendre à l’usine de production. Ils vendaient directement au public, à Sainte-Marie de Beauce. Ça coûtait moins cher qu’à l’épicerie. Mes parents prenaient deux boîtes de gâteaux mélangés, les non conformes. Ça coûtait encore moins cher. Des fois ils étaient écrasés, d’autres fois l’emballage était brisé. Leur défaut n’altérait en rien leur goût. J’adorais ces petites pâtisseries. Même jeune, j’avais de fortes pulsions alimentaires. Manger en cachette a vite été un réflexe. J’avais faim de sucreries et, chez nous, les desserts étaient restreints, comme dans la plupart des autres familles. Mes parents avaient la santé et les bonnes habitudes alimentaires à cœur.

Par mesure de fraîcheur, mes parents conservaient les boîtes dans le gros congélateur au sous-sol. J’avais développé une technique efficace pour soulever la porte du congélateur sans faire de bruit. Si j’allais trop vite, la porte grinçait. Si je lâchais la poignée trop tôt, le bruit se répercutait jusqu’au rez-de-chaussée. Alors doucement, je glissais ma main dans le gouffre glacé et à tâtons je pigeais une collation sucrée, ou deux, ou trois, selon mon niveau d’assurance et d’assomption du méfait. Si j’en avais pris un, j’y retournais immanquablement une fois le gâteau englouti pour en choisir un second. Dépendamment des lots, il arrivait souvent que la même sorte de gâteau domine la même boîte. C’était des boîtes surprises, nous n’avions aucune idée des choix qui s’y trouvaient lorsque mes parents passaient à la caisse.  Je me rappelle une fois où il n’y avait que des Cupcakes au chocolat. Ce n’était pas mes préférés, mais ça ne me dérangeait pas. J’avais besoin de sucre et n’importe lequel faisait la job. J’avais appris à déguster les petits gâteaux froids, presque gelés. Je m’en foutais, je voulais mon fix de sucre. Je cachais les papiers emballage sous les kleenex souillés de la salle d’eau du sous-sol. Des fois, oh malheur, ma mère descendait en bas pour me poser une question ou me parler. Au premier bruit de pas dans l’escalier, j’engouffrais le gâteau au complet dans ma bouche, essayant d’avaler le plus rapidement possible sans m’étouffer. Je jouais à l’innocente, le dos tourné à ma mère, en espérant que ma voix ne trahisse pas le sprint de mastication et de déglutition que je venais d’exécuter. Quand je devais répondre par une question à développement, j’étais faite. J’avais honte de me cacher pour manger. Mes parents mangeaient de façon saine et prônaient ce style de vie. Pour eux, ces petits gâteaux faisaient office de dessert aux occasions spéciales. Je ne voulais pas les décevoir. Je préférais me cacher et vivre avec le risque de me faire surprendre que de défier leur autorité en matière de valeurs et d’habitudes alimentaires équilibrées.

Lorsque mon frère était chez un ami et que mes parents partaient faire des commissions, c’était mon party. Je me ruais vers le congélateur que j’ouvrais tout grand. Je faisais du bruit, j’ouvrais les lumières. Ne plus me cacher était exaltant! S’il y en avait, je prenais à tout coup un Joe Louis, je l’amenais dans la cuisine, je le déposais sur une assiette que je glissais dans le four micro-ondes. Je réchauffais mon délice pendant quelques secondes. J’aimais quand le chocolat et la garniture intérieure fondaient. Le glaçage coulait dans la partie sèche du gâteau. Ça devenait mou et infiniment plus sucré. Je prenais une cuillère et je dégustais ma gâterie lentement. Parfois, mon frère revenait de manière impromptue. Je faisais des pirouettes pour cacher mon mauvais coup. Je n’avais pas envie de remontrances de sa part. Je trouvais insultant de me faire sermonner par mon frère de 17 mois mon aîné. Tant qu’à me faire chicaner, je préférais que ça soit par mes parents.

De temps en temps, mes parents passaient des commentaires sur le niveau déclinant du stock de gâteaux. Je ne disais mot, espérant qu’ils changent de sujet. J’étais loin de m’assumer, me commettre aurait été d’une bravoure dont l’honorabilité ne se déclarait point en moi à ce moment-là.

Un jour, je m’aperçus que j’avais engraissé. Les p’tits gâteaux Vachon étaient dans la mire des coupables. J’ai décidé de remédier à la situation avant que mes vêtements ne me fassent plus. Ma mère venait de faire l’acquisition d’un équipement de remise en forme chez Sears. Ça s’appelait un air walker (ou une machine de marche intérieure). C’était avant l’arrivée des elliptiques. Ça avait l’air le fun. Je me suis lancé le défi d’en faire chaque soir. Pari relevé, j’embarquais sur cette machine de remise en forme 30 minutes tous les soirs de la semaine. Je commençais à 19 h pile et je terminais quand l’émission de Virginie était finie. Je trouvais l’exercice plaisant, car je le combinais à quelque chose que j’affectionnais par-dessus tout : écouter la télé. Après quelques mois, j’apercevais une nette différence; mes muscles avaient raffermi, le gras de mes cuisses et de mes fesses s’était envolé. J’adorais ma nouvelle silhouette!

Je travaillais comme plongeuse dans un restaurant les matins de fin de semaine. Avec mon argent durement gagné, je m’étais acheté une ceinture dont les vertus promettaient de brûler la graisse du ventre sans effort, avec de légers chocs électriques qui feraient « travailler » les abdominaux. J’avais une crainte de l’utiliser au début, mais, une fois habituée, cette ceinture ne m’abandonnait plus. Je l’avais toujours sur moi lorsque j’étais à la maison. Je l’enlevais avant d’aller au lit. J’avais la peau rougie, moite et chaude à l’endroit des « décharges électriques ». La publicité de cette ceinture vantait les mérites d’un ventre plat et de muscles abdominaux bien garnis. Bien entendu, c’était mensonger. J’aimais croire le contraire. C’est à cette période que j’ai complètement cessé de manger des p’tits gâteaux Vachon. Ils ne faisaient plus du tout partie de ma vie et de mes envies. J’avais jeté mon dévolu sur le air walker. C’est également à ce moment que j’ai diminué mes portions à chacun de mes repas. Lentement, sournoisement, l’anorexie se pointait le bout du nez. C’était si subtil, tel un ami muet à qui ont aurait révélé un secret. La maladie s’est insinuée en moi, tout bonnement, sans carte de visite. Personne ne se doutait de rien. Ni même moi.


Cacher les emballages, user de stratèges dans l’obtention d’une sucrerie et manger en cachette…t’as déjà fait ça toi aussi?

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