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Les remarques qui marquent

Au moment de ce selfie, j’ignorais qu’un complexe surgirait suite à un propos pointant un aspect de mon corps que je prenais jusqu’alors pour acquis.

« OH-MON-DIEU !! Heille la grande, faut que j’te dise : t’as des ÉNOOOORMES mollets ! Mon chum de gars y fait du vélo professionnel pis y’a des ben plus p’tits mollets que toi ! HAHAHAHAHA ! Jamais vu des aussi gros mollets de ma viiiiie ! Heille Marc !! Viens voir ça !!! ».

Mon père et moi étions en voyage en République dominicaine. J’avais 22 ans, j’étais célibataire et j’avais une estime personnelle très frêle. Ma mère était décédée depuis peu et je revenais d’une année d’enfer au sein d’une relation empreinte de violence conjugale et de consommation de drogues. J’avais l’âme amochée.

Je patientais en file au p’tit bar à l’orée de la plage en attendant le Cuba mucho Libre que je souhaitais commander lorsque le commentaire non désiré m’a agressé les tympans et le cerveau. Ma réaction a été décevante : « Hihihihihi ». J’ai ri comme une dinde. J’ai ri jaune moutarde en prenant mes pattes à mon cou avec mon drink. Une poule mouillée. J’ai bu ma honte dans un verre en plastique où lézardait un mini- parasol en guise de décoration quétaine.

J’suis comme ça moi, au lieu de lancer de cinglantes répliques bien placées, je m’aplatis. Une vraie pâte molle. Une Plaxmol verte fluo couleur vomie d’un accès de Curaçao. Je troque les réparties contre des Karineries.

À cette époque, au début de la vingtaine, je ne faisais aucun sport en particulier. Je n’avais aucune idée, avant que cet énergumène ne m’accoste, que j’avais de gros mollets. À partir de ce jour, j’ai eu une fixation exagérée sur une partie de mon corps que je prenais pour acquis jusqu’à là. J’ai complètement arrêté de porter des jupes ou des robes. Sinon, j’enfilais une paire de collants noirs très opaques afin de cacher les fameux mollets dignes d’un athlète olympien. Des mollets qui auraient pu, au dire de l’inconnu crétin, se retrouver dans le livre des Records Guinness. Je lui aurais bien remis la médaille du plus grand con, à lui.

J’avais développé une fixation sur les jambes d’autrui afin de me rassurer sur la circonférence de mes gros jambons. J’espionnais les membres inférieurs dans les transports communs, ceux des vedettes dans les magazines ou des personnalités qui passaient à la télé. Je me suis inscrite au gym. Je m’épuisais au cardio et à l’entraînement des jambes. Paraît que le muscle, ça fait fondre le gras. Mes gros mollets flasques je les voulais slim, ou du moins, d’un volume normal. D’une dimension qui n’allait pas retenir l’attention et qui n’allait surtout pas m’attirer des commentaires. Parce que dans mon cas, les remarquent, ça me marque.

En mai 2008, à Montréal, dans la salle de coupe de vêtements au 333 rue Chabanel, mon collègue Mike m’avait demandé si j’étais enceinte. Trouvant la perche alléchante, Lise s’en ai mêlée. « T’es sûr sûr qu’t’es pas enceinte, parce que m’ssemble que ton bedon est plus gros depuis kek’ semaines. » Non Lise, non Mike, j’ai mes menstruations, je me sens gonflée et j’ai des ballonnements. Pas de bébé dans cette bedaine-là.

En juin 2009, chez une nouvelle date dans l’est de la métropole, il m’avait confessé qu’il aimait ça les « grosses » femmes, comme moi. Il me trouvait belle avec mes grosses fesses « bubbly ». Come on Yannick, je pèse 135 livres, j’suis pas grosse.

En janvier 2012, à Waterloo, l’adjointe du bureau de poste, pure inconnue, m’avait demandé si j’étais enceinte. Parce qu’apparemment que, sous mon manteau, ça me faisait une protubérance à la hauteur du ventre. Non madame, je suis juste grosse. Puisque sa taille empire semblait me donner des allures de future maman à la gestation avancée, je n’ai plus jamais reporté ce manteau que je venais tout juste d’acheter. J’avais trop peur qu’on me relève l’observation une deuxième fois.

Printemps 2014, au Rona de Cowansville, apercevant mon bébé posé dans sa coquille, une jeune caissière enthousiaste m’annonça qu’elle était enceinte. Très heureuse pour elle, je retournai chercher un item dans le magasin en mode express. De retour à la caisse, je demandai à la future maman à combien de semaines elle en était. Me regardant d’un air incertain, celle-ci me répliqua qu’elle n’était pas enceinte. Je venais de me tromper de caissière. Clap, clap, clap ! Belle Karinerie ça !

Qu’on les dise ou qu’on les encaisse, les commentaires sur le physique ou l’apparence semblent nous laisser une empreinte. Pour ma part, à moins d’avoir un compliment à partager ou une remarque qui fait sourire, je me tais. Et gare à ceux qui dénoteraient une partie de mon corps qui ne leur plaît pas ou qui n’est pas dans « la norme », je vous réserve une réplique cuisante ou un regard courroucé. Fini les Karineries !


As-tu déjà reçu un commentaire indésirable sur ton corps ou une partie de celui-ci qui t’a dérangé, si oui, quel était-il ?

2 Replies to “Les remarques qui marquent”

  1. Quand j’étais à l’école primaire, je me suis fais dire dans l’autobus que j’avais des bras de loup-garou parce que j’étais supposément excessivement poilue des bras. Depuis ce jour je suis complexée, j’ai commencé à me raser les bras au secondaire et je n’ai jamais arrêté depuis.

    1. Crime que ça me fait de la peine de lire ça Kelly. J’ai été témoin de tellement de mots durs et de propos blessants au primaire et au secondaire. C’était un bassin à complexes. Quand c’est pas les autres qui nous les créaient c’est nous-même qui les pensions. Bref, c’est une période tellement difficile. Sur une note plus positive, j’imagine que ça forge le caractère. Je comprends ce que tu vis.

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