Mon expérience chez les OA

Outremangeurs anonymes, c’est la signification du sigle OA. Je les ai contactés en 2014. Ça me trottait dans la tête depuis un moment. J’avais déniché leur numéro de téléphone sur Internet. Je venais de perdre du poids avec un régime drastique et j’étais en contrôle de mon alimentation depuis quelques semaines. Je me trouvais belle, photo à l’appui. Parce qu’apparemment, quand je me sens en beauté, j’ai besoin de l’immortalise en selfie. Détenant cette nouvelle confiance en poche, j’ai amassé tout mon p’tit change, j’ai mis ma gêne de côté et je me suis lancée.
J’ai composé le numéro, je souhaitais connaître le fonctionnement des rencontres et annoncer ma venue prochaine. Une gentille dame m’a répondu. Après moult courtoisies, j’ai tenu bon de citer cette phrase absurde : « Ah ! Je voulais aussi vous prévenir que je ne suis pas obèse. Je préférais vous le mentionner, parce que t’sais, j’ai un peu peur de me faire juger. » ARK ! Non, non, non! Juste non. Veux-tu ben m’dire pourquoi j’ai dit ça ?! Honte à moi-même! J’avais 28 ans, mes balbutiements dans ma quête vers la guérison de mon hyperphagie s’amorçaient. J’étais grossophobe et je portais un paquet de jugements disgracieux envers les gros, incluant moi-même lorsque je fluctuais de poids à la hausse.
La réunion se déroulait dans un local d’un CLSC dans le village voisin. Je suis arrivé à l’avance, fidèle à mes habitudes. Je me suis présenté à l’organisatrice et je lui ai prêté main-forte afin de préparer la salle ; déplacer les tables et les chaises, accrocher des feuilles plastifiées aux murs, déposer des feuillets et des lampions sur les tables. La femme, plutôt taciturne, ne m’accordais aucune attention. Ou peut-être qu’elle ne désirait juste pas fraterniser avec la weirdo présomptueuse qui déclare au téléphone qu’elle n’est pas grosse. Je la comprends.
Je m’étais imaginé une salle pleine de gros et de grosses. Femmes, hommes, la mi-quarantaine, des chaises en bois cordées en rangées d’oignons, un stand et un micro au bout de la pièce. Un peu comme on voit dans les films quand le protagoniste assiste à une séance du même genre. En réalité, la salle était plus petite que dans mon imaginaire, mais trop grosse pour la poigné d’outremangeuses que nous étions. Je comptais cinq femmes, dont un duo mère-fille. Je me sentais comme l’invitée impromptue dans une soirée de démonstration de jouets érotiques. Je regrettais déjà ma présence à cette rencontre. L’horloge n’était pas de mon côté, ses aiguilles semblaient au ralenti. L’atmosphère de la réunion, pour le moins assommante, s’alourdissait par l’embarras et la pudeur de ses membres.
Une à une, les femmes racontaient leur semaine, un peu à contrecœur, dans un état de torpeur, peut-être causé par le sentiment de honte et d’échec d’une semaine à s’empiffrer. Ou c’était peut-être juste moi qui étais trop crinquée. Je prenais des notes dans le petit carnet que j’avais cru bon emporter, telle une étudiante assidue. J’avais compris que je souffrais d’hyperphagie boulimique depuis peu et je prenais la chose très au sérieux. Comprendre le fondement de ma maladie était la bouée de sauvetage à laquelle je voulais m’accrocher. Il existait assurément une explication à cette souffrance. J’avais espoir que ces femmes m’offriraient la clé de pandore sur un plateau de fruits. Après chaque témoignage, je leur exprimais mes expériences et mes pensées, non sollicitées. La maîtresse de cérémonie m’avait poliment grondée. « Ici on ne commente pas. » J’étouffais mes répliques à chaque manifestation. J’avais donc le goût de renchérir. Je lâchais parfois un : « ce que Diane a dit me fait penser à la fois où blablabla… ». Je n’allais pas gagner le prix de popularité auprès de cette cohorte. Je m’en foutais un peu. Je me sentais au-dessus de mes affaires et j’avais le besoin viscéral de m’exprimer sur le sujet et d’approfondir mes idées en explorant les facteurs de ma maladie.
Les rassemblements des OA avaient des similitudes avec ceux des AA, de ce que j’avais entendu entre les branches. Il y avait la portion religieuse : ses dix commandements, une p’tite prière, Jésus Christ de Nazareth pis toute. Ce style d’approche m’apparaissait désuet. Je ne suis pas athée. Je ne déteste pas les religions. J’en suis indifférente. Je n’appartiens à aucune d’entre elles. Disons que je suis agnostique, histoire de me catégoriser dans un petit moule à muffins.
(Petites parenthèses express à des fins de compréhension de mon cheminement religieux). Vers l’âge de 8-9 ans, je croyais FULL à Dieu. J’avais joint les cours de catéchèse supplémentaires organisés les soirs de semaine, de façon tout à fait volontaire. C’était un genre de complément aux cours religieux que nous avions de base à l’école afin de nous préparer adéquatement à notre première communion. J’étais décidément la gossante du groupe. J’avais toujours la main levée à poser des questions pas rapport. J’entendais les soupirs du professeur à la vue de mon regard déambulant dans les abîmes de l’incompréhension, sachant que ma main fendrait l’air pour une énième fois. Ma curiosité, combinée à mon implication émotionnelle, me poussaient à assouvir mon besoin de saisir l’insaisissable. Je priais tous les soirs, sans exception. C’était mon petit rituel en tête-à-tête avec moi-même avant de m’aventurer dans les bras de Morphée. Je débutais en récitant mentalement le « Notre Père », je remerciais Dieu pour sa bonté, pour m’avoir donné une famille aimante et pour le Nintendo que mon frère et moi avions reçu à Noël. Je lui demandais pardon pour mes mille et une bévues et, surtout, je le priais de me rendre belle. (Ouin, c’est tu triste rien qu’un peu. Je l’étais, belle, en plus. J’aurais dont dû lui demander de me rendre moins ignorante à la place !).
J’ai arrêté de croire du jour au lendemain. Je m’en souviens comme si c’était hier. Un accident tragique est survenu à notre voisin, un ami à mon frère et moi. Flottant entre la vie et la mort, j’ai supplié ce Dieu de l’épargner, en vain. J’en voulus trop au tout-puissant-pas-si-puissant-que-ça pour lui faire la faveur de prier ne serait-ce qu’une fois de plus. Il ne méritait plus mon attention. Alors, le petit bénédicité à la fin de la réunion des OA, main dans la main, à demander pardon, et courage à Dieu Jésus Christ le Sauveur, ça ne m’atteignait pas pantoute.
J’y suis retourné à trois reprises. Même si ces rencontres n’étaient pas parfaites, me confier à des personnes de ce que je vivais et discerner dans leurs yeux toute la compréhension du monde, ça m’a apporté un énorme réconfort. Ça m’a propulsé vers une guérison partielle. Admettre que j’avais un problème, en parler et m’ouvrir aux expériences des autres pour en apprendre davantage sur les solutions envisageables a été ma rédemption. La force, on l’a en nous. C’est en sollicitant et en acceptant le soutien extérieur qu’on se donne des ailes. Pis le vrai de vrai courage, c’est de demander de l’aide une première fois.