T’as juste à manger moins et à bouger plus

Mes genoux shakaient dans la salle d’attente de la clinique. Je me démenais dans une bataille interne où, d’un côté, je me répétais en boucle le discours mental de ce que j’allais dire au médecin et, de l’autre, une envie pressante et irrésistible de déguerpir en tentant de me convaincre que je n’avais pas d’affaire là m’envahissait tel une bouffée d’angoisse insupportable. Je n’avais pas de cancer ou de maladie dégénérative, je n’étais pas handicapée ni porteuse d’une maladie rare, je n’avais pas de malformation qui lésait mon quotidien et je ne souffrais pas de dépression. J’avais honte de consulter pour ce problème « de riche ». Alors que des gens du tiers monde peinaient à se mettre quelque chose sous la dent chaque jour, moi, j’étais là, à me plaindre le ventre plein. J’avais peur de faire perdre le temps au docteur et d’entendre cette suite de mots tant appréhendée : « T’as juste à manger moins et à bouger plus. ». Ç’a aurait été le signe flagrant de la réfutation à ma situation de boulimique. Heureusement, cette phrase n’a résonné que dans mon imaginaire.
J’étais mentalement à bout et épuisée de tourner en rond. J’étais prise dans un tourbillon hyperactif si vicieux, je ne voyais pas le début de la fin. Mon corps, mon cœur et ma tête réclamaient un break au plus sacrant. J’avais le goût d’un redoux. L’espoir qu’un jour je cesse d’être traumatisée par mon poids et que j’arrive à me défocaliser sur ce corps que je trouvais toujours trop gros m’avait propulsé vers un appel à l’aide. Dans le bureau du médecin, cette journée-là, à bout de mes ressources, je tendais la main vers une bouée.
Perdre du poids, c’était mon but, mon principal objectif de vie. Mais surtout, je désirais me libérer de cet abîme de perte de maîtrise. Mon problème d’hyperphagie et de boulimie m’empêchait d’être heureuse. J’ai même déjà souhaité souffrir à nouveau d’anorexie. J’étais rendue là. Ça aurait été plus simple, que je me disais, en sachant très bien que ce n’étais pas la solution à mes maux. Puisque mes semaines étaient entrecoupées de famine et de régimes débiles, je n’étais qu’à deux doigts de la déchéance de gavage. Je ne le comprenais pas à l’époque, mais l’un n’allait pas sans l’autre. La nourriture avait le contrôle sur mes pulsions. Mes pulsions me poussaient à entreprendre des actions ravageuses de disettes. Un tourbillon inlassable, semaines après semaines. Le yin et le yang de marde.
Je redoutais le sermon des gens de mon entourage lorsque je leur parlais de mes troubles alimentaires. Parce qu’après tout, je suis peut-être la meilleure placée pour savoir comment perdre du poids. J’en ai vu des modes passer. J’en ai suivi des régimes qui n’avaient pas de bon sens. J’en ai consommé des pilules pis des ouvrages pis des programmes qui me promettaient la lune de miel et le sucre d’orge.
Couper les 3 P (pain, pâtes, patates), boire de l’eau avant les repas, mastiquer leeeenteeeeemeeeent, déposer la fourchette après chaque bouchée, se brosser les dents quand une envie folle de manger nous pogne, faire la diète de la soupe aux choux pendant 7 jours (soupe à volonté ! Yay ! Soupe aux choux le matin… Ark !), couper dans le sucre, couper dans le gras, boire de l’eau citronné en se levant le matin, prendre son café noir, boire du thé vert, ajouter des graines de chia dans son smoothie, manger un œuf le matin, prendre des compléments de glucomannane, servir les repas dans de petites assiettes, prendre des petites portions, peser ses aliments, compter les calories, s’assoir pour manger, savourer en pleine conscience, manger en famille, boire de l’eau entre chaque bouchées, couper ses aliments très petits, garder un plateau de crudités à la portée, augmenter sa consommation de fibres, augmenter sa consommation de légumes, manger des fruits, mais pas trop, aller courir, se lever de son foutu divan, faire de la musculation, faire des squats, faire du spinning, du kick-boxing, du kayak, du trekking, du hiking, marcher pour aller au dépanneur, aller au travail en vélo, faire 10 push-up avant de se coucher, faire 10 burpees en se levant le matin, prendre les escaliers au lieu de l’ascenseur, manger des petites collations aux 3 heures, manger des protéines maigres, prendre la sauce à côté, ne pas prendre de sauce du tout, bien dormir, consommer des suppléments de lactosérum, ne pas boire les calories, remplacer l’huile d’olive par de l’huile de coco, stimuler son métabolisme, boire un shooter de cidre de vinaigre de pomme à chaque jour, faire le régime cétogène, pratiquer le jeûne intermittent, manger des aliments colorés, s’acheter une montre intelligente capteur d’activité, contrôler sa respiration, faire du yoga, recentrer son énergie, manger avant de faire l’épicerie, manger avant d’aller à une fête, manger avant d’aller au restaurant, éviter les repas préparés, éviter les repas emballés, cuisiner soi-même, ne plus aller au restaurant, éliminer le blanc de son alimentation, éviter les publicités qui alimentent les fringales, se peser à chaque matin, se peser une fois par semaine, ne plus se peser du tout, prendre ses mesures avec un ruban à mesurer, se fixer des petits objectifs, faire des entraînements par intervalles, travailler debout, aller marcher durant les pauses, s’abonner à un programme d’entraînement avec un.e ami.e, prendre une journée à la fois, relaxer, ne pas penser juste à ça, prendre des laxatifs, se crisser deux doigts dans la gorge…
J’étais loin, très loin d’avoir besoin de trucs pour maigrir. J’avais pas mal tout essayé sur ma liste et ces plans pour aller mieux avaient failli. Je pensais que, pour aller mieux, je devais être mince. Ma motivation, elle, avait levé le drapeau blanc. Elle avait capitulé devant mes trop nombreuses tentatives échouées. Ma vie devait se détourner de l’obsession de la nourriture et de mon poids. Mon être réclamait l’aide requis pour apaiser mon mental éreinté.
T’sais, j’ai réalisé que j’avais peur de l’échec, mais que j’avais aussi peur de la réussite. Même si c’était mon objectif ultime de maigrir, j’avais la chienne qu’on complimente ma silhouette svelte (t’sais, dans le cas où l’un des trucs aurait fonctionné à perpétuité) et qu’un jour bang ! Je retombe dans les griffes du méchant sucre et que le chiffre de la Sainte-Balance se remette à grimper en flèche. J’appréhendais les jugements. Les non-dits. Les œillades sur ma mâchoire ronde, sur mon ventre rebondi et mon derrière élargi. Parce que les préjugés crains étaient le reflet de mes propres pensées. Je suis vraisemblablement la pire grossophobe envers moi-même que cette terre ait portée!
Je souhaitais à tout prix m’éloigner de l’auto sabotage qui semblait toujours prêt à se jeter sur mon chemin. Il suffisait d’une simple bouchée d’un aliment interdit pour que je sacre tous les efforts précédents en l’air. C’était tout ou rien avec moi. Ma courbe de poids était une montagne russe. J’étais tellement habituée d’embarquer dans le train de la sensation forte du chiffre fluctuant que je n’avais plus besoin de me préparer mentalement. Avant, je prenais au moins une semaine pour me conditionner. Je me réservais des jours rédempteurs où je me lâchais lousse. J’avais faim ? J’mangeais ! J’avais des envies de vider le pot de crème glacé au complet ? Let’s do that ! Une troisième pointe de pizza ? Pas très raisonnable ça. Pas grave ! Let’s go dans le gorgoton ! De toute façon, le régime commençait le lundi suivant. Plus je me goinfrais et plus je gonflais. Je me sentais si inconfortable dans mon propre corps. Le dimanche venu, je me bourrais les méninges de photos avant-après, de citations incitatives, de toute forme de positivisme sur la minceur. Je me téléchargeais une nouvelle application de suivi du poids. Je m’achetais un cahier neuf pour inscrire mes victoires. Je me prévoyais des petits cadeaux suite à mes réussites. Des petites attentions de moi à moi qui seraient non alimentaire et qui me feraient du bien : des romans, des vêtements, une virée chez Sephora, un parfum, des souliers, une sortie au cinéma. Finalement, je ne m’accordais rien parce que je n’étais jamais assez fière de moi. Ma barre était haute, limite hors d’atteinte. Je voulais perdre du poids, et plus vite que ça ! La récompense était vaine, je ne la méritais pas, que j’me disais. J’avais cette épée de Damoclès qui se balançait au-dessus de ma tête, prête à faire basculer ma frêle motivation à tout moment. Il y avait toujours une occasion de célébrer : Noël, une fête, une visite à l’érablière, un souper entre amis, un party, Pâque ou l’Halloween. Ces fameux moments synonymes de petits gâteaux, de bonbons et de sucrage de bec s’illustraient en un nuage sombre menaçant mon succès. Comme une droguée, il suffisait d’une seule goutte du doux nectar sur ma langue pour que je me pète la face. J’me bourrais la panse comme s’il n’y avait pas de lendemain. Une Obélix au pays des crêpes. C’est pas d’ma faute, j’suis tombée dans l’sirop quand j’étais p’tite !
Reconditionner mes pensées, reprogrammer ma façon de manger et surtout, cesser cette course au régime était mon nouveau plan de match. Je devais prendre mes troubles alimentaires comme tels, sans les minimiser ou les diminuer. C’était réel et, comme n’importe quelle autre maladie, j’avais besoin d’être guérie. J’avais dorénavant pour seul et unique objectif : accepter qui j’étais, en entier, avec mes qualités et mes défauts. Il me restait à pardonner mes inconduites et me traiter en amie, me forger une attitude de bienveillance envers moi-même et réapprendre à vivre avec mon corps. Le médecin avait utilisé sa boussole, m’avait montré le bon chemin. J’allais maintenant dans la bonne direction.
Si tu continue de croire que tout le monde devrait manger moins et bouger plus pour perdre du poids, que c’est aussi simple que ça, tu fais fausse route l’ami.e, c’est moi qui te l’dis!
Ouf! J’ai le sentiment de me voir à travers une loupe en te lisant… jamais été dans les extrêmes mais toujours flirtant avec les portions, la balance, les activités physiques, la nutrition, maintenir l’équilibre … et le regard des autres… pour découvrir que mes meilleures moments sont quand je fais quelque chose que j’aime ! Curieusement les rages de bouffe disparaissent, et l’énergie monte autant que le moral ! Faire ce qu’on aime c’est se faire plaisir et se choisir, se découvrir. S’aimer devient alors à portée de main, l’opportunité est là prête à saisir. On peut apprendre ça jeune, mais en comprendre le potentiel et l’intégrer peut être long ! Ta façon d’écrire vient nous chercher avec leur authenticité sans fard, mais pourtant colorés !! Je suis convaincue que tu as déjà fait germer des graines dans plusieurs têtes! Bravo ma belle Sunshine! Ne doute pas de tes capacités, tu fais parties des gens qui illuminent les autres sur son passage, et ça bien avant ton blogue 😁. J’espère bien te recroiser en personne, gros câlins xxx
Sand
Ça y est je pleure! Tu es tellement merveilleuse toi! Merci d’être toi et merci pour ton magnifique message xxxx
Et tu as tellement raison sur le fait qu’intégrer et mettre en œuvre cette capacité à nous aimer et à prendre soin de nous peut être long et ardu. Se choisir, ça revient souvent ça, ça doit être pour une bonne raison haha! Encore merci pour ton message Sandra d’amour! Tu me manque et j’espère qu’on pourra se recroiser dans un avenir très rapproché! 🙂