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Laurence Lussier Locas

Laurence est une femme aux mille qualités. J’ai eu la chance inouïe de faire sa connaissance cet été. C’est un total coup de foudre amical que j’ai eu pour elle! Laurence est d’une intelligence et d’une lucidité sans pareil. Elle est dévouée, curieuse, fonceuse, résiliente, à l’écoute des autres et elle a un cœur grand ouvert pour ceux et celles qui la côtoie. Elle est capable de cerner les gens au premier échange, elle a cette capacité à se connecter à l’autre d’une manière propre à elle. Elle s’exprime admirablement bien et elle est capable de débattre sur tout! J’ai une admiration sans borne pour sa personnalité  lumineuse. À travers son témoignage, elle nous dévoile comment la maladie est arrivée dans sa vie et comment elle jongle avec l’anorexie jusqu’à ce jour. 

Question 1: Te rappelles-tu quand tout ça a commencé?

Oui, tout a commencé quand j’avais 14 ans. J’étais en troisième secondaire au programme international et nous devions faire un projet en éducation physique pour lequel il fallait compter nos calories ingérées ainsi que l’exercice physique réalisé quotidiennement pour calculer la balance énergétique. Il n’en fallait pas plus pour créer chez moi l’obsession des calories, des portions recommandées par le guide alimentaire et aussi cette idée qu’il fallait mériter la nourriture par le sport ! J’étais déjà perfectionniste et rigoureuse dans tout ce que j’entreprenais, donc cette nouvelle façon de contrôler ma vie et mon apparence physique m’a vite semblé être une bonne solution pour pallier mon manque de confiance en moi. En effet, je n’étais pas très bien dans mon corps, je me comparais beaucoup et je vivais beaucoup d’intimidation. Pourtant, je n’avais aucun poids à perdre et je m’alimentais tout à fait normalement. Je ne faisais pas de sport intensif, mais je n’étais pas sédentaire non plus: je faisais du ski, de la natation et j’aimais marcher dans la forêt. J’étais simplement une adolescente introvertie et studieuse qui se sentait très différente des autres filles de mon âge qui pensaient aux garçons, à la mode et aux partys.

Mon trouble a donc commencé plutôt comme de l’orthorexie, l’obsession de la saine alimentation et aussi par une compulsion par l’exercice physique. Tout cela s’est fait très lentement, sans nécessairement occasionner de perte de poids. Tout cela consumait énormément d’énergie mentale. J’ai perdu mes menstruations, probablement à cause de l’exercice physique intense, à 15 ans et je ne les ai jamais retrouvées depuis (les menstruations chimiquement provoquées par la pilule contraceptive ne comptent pas comme des menstruations). Cette aménorrhée a inquiété ma mère, mais personne dans mon entourage ne considérait que je souffrais d’un TCA, car j’avais un poids normal et je mangeais avec appétit. Les gens ne savaient pas que je calculais toutes les portions et les calories dans ma tête et que j’étais obsédée par la grosseur de mon ventre, que j’essayais de faire fondre à coups de vidéos d’aérobie et d’exercices abdominaux…

Mon trouble alimentaire a évolué à travers les années, empirant à chaque source de stress majeur qui s’ajoutait dans ma vie: le décès de mon père, mes multiples blessures physiques et mes hernies cervicales, mes études universitaires, mes relations amoureuses, mes changements d’emploi, mes nombreux déménagements, etc. Durant les cinq dernières années, ma santé s’est vraiment détériorée: perte de cheveux, perte de poids importante, obsessions et compulsions beaucoup plus marquées, énergie à plat, système immunitaire faible, problèmes intestinaux, hormones féminines presque inexistantes, anxiété majeure… Il devient difficile d’être fonctionnel lorsque l’orthorexie se transforme en anorexie. C’est un cercle vicieux: le trouble entraîne une dépression latente qui rend plus difficile de trouver la motivation de s’en sortir. Il faut vraiment une force mentale inouïe pour guérir.

Je n’ai jamais été hospitalisée et je ne suis pas un paquet d’os. Il faut que les gens comprennent que l’anorexie ne concerne pas seulement les femmes en train de mourir de faim. Je mange du chocolat et des frites et je participe aux soupers de famille ! Il y a plusieurs façons d’arriver à vivre sa vie autour de son trouble alimentaire. Tout est dans l’obsession, les compulsions, le contrôle, les pensées extrêmement violentes envers moi-même et mon corps. Mon IMC est très bas, mais il n’est pas assez bas pour que ma vie soit en danger dans l’immédiat.

Question 2: Comment te sens tu par rapport à ton trouble alimentaire maintenant?

Je ne suis pas guérie. Je me maintiens à un poids beaucoup trop faible sans être dangereux à court terme. Je mange bien, mais définitivement pas assez pour réparer les dommages faits à mon corps par toutes ces années de restriction et de sport intense malgré les blessures. J’essaie de réduire les sports à impact et de les remplacer par des activités plus douces comme la randonnée et le yoga, mais l’activité physique occupe encore une place majeure dans ma vie. Je sais que mon corps aurait besoin de beaucoup plus de repos, mais j’ai tellement peur de me laisser aller à l’écouter que je continue. J’ai une phobie intense de prendre du poids et de perdre mon identité de la fille mince et en forme.

Question 3: Est-ce que tu considères que tu t’en es sortie? Quel a été le déclic?

Non, je ne m’en suis pas encore sortie. Pas du tout. Toutefois, le déclic pour aller chercher de l’aide a été le fait d’arrêter la pilule contraceptive et de me rendre compte que je souffrais d’aménorrhée hypothalamique. Je ne peux pas avoir d’enfant naturellement en ce moment. Je veux un enfant ! C’est grave et tragique même, je dirais ! Les conséquences sur la santé cardiaque, hormonale et osseuse sont majeures. Je souffre d’ostéoporose à 31 ans ! De plus, au niveau cognitif, je sens que je ne suis plus du tout la jeune femme allumée et concentrée que j’étais. Je me sens toujours dans un brouillard.

Question 4: Quels ont été tes moyens pour y arriver? Sinon, as-tu un plan pour t’en sortir?

Je suis suivie en nutrition et j’ai aussi une psychologue spécialisée en TCA. La plus grande difficulté pour moi est d’arrêter de me comparer aux autres (mangent-ils moins que moi ? s’entraînent-ils plus que moi ?) et de me défaire de mes croyances ancrées depuis des années par rapport à mon identité. C’est comme si j’avais intégré que je n’avais de valeur qui si mon corps correspondait aux standards de minceur de la société. Je dois aussi cesser de voir la nourriture comme quelque chose de dangereux ou une ressource à limiter ou calculer. De plus, ne pas m’entraîner quelques jours ne fera pas de moi une paresseuse.

Question 5: Quel lien entretiens-tu avec ton poids, la balance et ton image corporelle?

Le chiffre ne me dérangeait pas avant que le médecin me fasse remarquer qu’il descendait constamment. J’avais plutôt tendance à juger de mon poids par la grosseur de mon ventre. Avec tous les problèmes intestinaux dont je souffre, mon ventre est souvent ballonné, alors je me trouve toujours immense. Maintenant, si le chiffre augmente sur la balance, je sais que c’est un pas vers la guérison, mais mon trouble me crie que je suis un échec et que je vais prendre du poids indéfiniment. Mon image corporelle a toujours été très négative et ce sera un grand travail de changer cette relation de haine de soi.

Question 6 : Quels moyens prends-tu pour gérer tes émotions ou pour te changer les idées?

Je promène mon chien. Je respire profondément. J’écoute des podcasts. Je vais dans la forêt. Je prends un bain très chaud. J’attends que la vague passe. La gestion des émotions est vraiment ma bête noire: j’ai tendance à réagir promptement et très fortement à tout ce qui me crée un stress, car je suis hypersensible.

Question 7 : Comment était ta relation avec la nourriture quand tu étais plus jeune?

Très saine: mes parents adoraient cuisiner et j’adorais manger. J’étais gourmande et je mangeais de tout, même des plats très épicés ou exotiques. J’avais un grand appétit pour un enfant. On ne mangeait pas beaucoup de fast food à la maison, ma mère prenait le temps de tout cuisiner.

Question 8 : Si tu pouvais retourner avant ton trouble alimentaire, que dirais-tu à la personne que tu étais?

Je dirais à la jeune Laurence qu’elle pourrait accomplir de bien plus grandes choses pour le bien de l’humanité et pour ses proches si elle ne bousillait pas sa santé en essayant de contrôler son corps. Je lui dirais que les gens ne l’aimeraient pas davantage parce qu’elle aurait des abdominaux et qu’elle ne trouverait pas sa vraie identité à travers ce trouble alimentaire.

Plus sur toi!

Quelle chanson écouterais-tu en boucle ?

Don’t think twice, it’s alright   – Bob Dylan

Je me répète toujours la phrase: It ain’t no use to sit and wonder why, babe.

Allez, arrête de penser Laurence, lève-toi et va tenter ta chance dans la vie.

Quel livre ou quelle œuvre apporterais-tu sur une île déserte ?

L’amour au temps du choléra, de Gabriel Garcia Marquez. Je pense que c’est la plus belle des histoires d’amour.

Quelle est ta série télévisée préférée ?

Shameless. Pour les personnages de Frank et de Fiona et l’amour qui ressort du chaos de cette famille totalement dysfonctionnelle, mais tellement vraie !

De quoi es-tu la plus fière à ce jour ?

Quand je suis entrée à l’université, j’ai obtenu une bourse d’excellence pour mes résultats scolaires. J’avais obtenu la meilleure Cote R de toutes les inscriptions ! J’ai pu payer presque la totalité de mes études avec cette bourse et cela a donné un peu de répit à ma mère qui était monoparentale depuis le décès de mon père.

Quel rêve caresses-tu ?

Avoir un enfant et aider le plus de personnes possibles à être bien et heureuses

Quel est ton moyen ultime pour te relaxer ?

Un massage de tête.

Qu’est-ce qui te rend heureux/heureuse ?

Quand mes proches sont heureux

Mon chien (un bébé beagle)

Des montagnes à escalader

De la bonne musique pour danser

Un massage

Un verre de vin blanc sec sur une terrasse au bord de la mer

Quel est ton talent caché ?

Je suis la reine de l’organisation et de la productivité. Mon conjoint a trois enfants alors il faut bien que quelqu’un gère tous les détails du quotidien.

Quel a été le plus beau jour de ta vie ?

Une magnifique journée ensoleillée en voyage à Cayo Santa Maria avec mon chum, au bord de la mer. On était bien et mes pensées étaient sereines. Je ne pensais pas à ma vie, je vivais ma vie.

Quelle(s) valeur(s) te tiennent à cœur ?

La gentillesse pure, sans arrière-pensée. L’écoute. Le respect de la nature. La culture et la curiosité intellectuelle.

Aussi, j’aime les gens vrais. Je n’ai plus de temps à perdre avec l’hypocrisie.

Quelle(s) qualité(s) préfères-tu chez toi ?

Je pense que je suis très intelligente (-:

Quelle est ta philosophie de vie ou quel conseil t’a-t-on déjà donné que tu aimerais nous partager ?

La perfection est l’ennemi du bien.

J’ai tendance à ne pas agir par peur que le résultat ne soit pas parfait. Combien d’expériences fabuleuses ai-je ratées à cause de cette peur de l’échec ? Au final, même si j’essaie et que je rate mon coup, j’aurai probablement accompli beaucoup plus qu’en attendant que toutes les conditions soient parfaites. Je ne veux plus voir la vie passer devant moi !

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