Marie-Dominique Leduc
Par son élégante plume et son esprit lucide, Marie-Dominique nous plonge dans son récit où, subtilement, elle se frayait un aller-retour vers l’anorexie. Petit à petit, la maladie s’immisçait et les compliments fusaient devant sa discipline de fer et sa silhouette qui fondait a vu d’œil. Le contrôle qu’elle déployait à l’endroit de son alimentation et de l’exercice régissait alors sa vie. Aujourd’hui derrière elle, Marie-Dominique se voit plus forte et résiliente suite aux défis que lui a fait surmonter la maladie. Son parcours a de quoi la rendre très fière! Elle brille d’ores et déjà de cette magnifique lueur remplie d’espoir et de générosité.
Question 1: Te rappelles-tu quand tout ça a commencé?
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été préoccupée par mon poids et mon apparence corporelle. J’essayais de « bien » manger et de bouger. Je souhaitais être plus mince, mais je n’en faisais pas une obsession.
Le jour où ma préoccupation à l’égard de mon poids a viré à l’obsession, où j’ai fait le premier pas dans la spirale sournoise du trouble alimentaire est celui où j’ai décidé de me mettre au jogging. Sans le savoir, je courais à ma perte.
Parallèlement au jogging, je contrôlais mon alimentation. La combinaison de la course et de la restriction a entraîné une perte de poids rapide. Je recevais des compliments sur mon apparence et ma discipline. Cela nourrissait mon estime. Mon but était toujours de perdre un nombre x de livres pour ensuite avoir une marge de manœuvre pour relâcher mes efforts. Mais plus mon poids diminuait, plus j’avais peur de le reprendre, alors plutôt que de réduire le contrôle, je le resserrais de plus en plus.
Je courrais plus souvent, je m’autorisais de moins en moins de pauses et, lorsque j’en prenais, je me sentais très coupable et compensais en mangeant encore moins.
J’éliminais des catégories entières d’aliments. D’abord les « mauvais » (chips, chocolat, etc.), puis ceux jugés engraissants (pain, pâtes, etc.), et enfin, ceux qui étaient transformés. Je me suis mis à tout cuisiner moi-même – yogourt, muesli, salade de fruits – sous prétexte que c’était moins cher et que c’était meilleur pour la santé, mais qui prenait un temps fou. Mais ce n’était pas assez, alors j’ai mis la viande de côté, prétextant que je n’aimais pas vraiment cela. Mes portions fondaient aussi à vue d’œil et, bien entendu, pas question de manger entre les repas.
Je me pesais plusieurs fois par jour. Je m’observais dans le miroir. Je touchais aussi certaines parties de mon corps pour sentir les os.
La faim était à la fois mon alliée et mon ennemie. D’une part, c’était une sensation terriblement désagréable qui, poussée à l’extrême, me rendait impatiente, voire agressive. Elle me quittait rarement et revenait rapidement après mes repas manifestement trop frugaux. D’autre part, elle me rassurait. J’avais associé la faim à la perte de poids, du moins à la non-prise de poids. Donc, quand j’avais faim, j’avais l’impression de ne pas être en train d’engraisser. C’était rassurant.
La faim régissait également toute ma vie. Comme j’avais quasi toujours faim, les repas constituaient une véritable oasis. Ma faim était enfin calmée et je me sentais bien durant un court laps de temps. Les repas étaient donc très importants, et si quoi que ce soit bousculait un tant soit peu mon horaire, si je ne pouvais pas prendre mon café matinal ou d’après-midi – qui coupait un peu la faim – ou mon repas à l’heure prévue, c’était la catastrophe (dans ma tête). J’étais extrêmement rigide avec les heures de repas. Toutes les activités étaient organisées en fonction de ça. Dans ces conditions, la routine était mon alliée. C’était très difficile à gérer pour moi quand venait le temps des vacances, par exemple, ou quand survenaient des imprévus (chose fréquente avec trois enfants…).
Question 2: Comment tu te sens par rapport à ton trouble alimentaire maintenant?
Aujourd’hui, je lui suis reconnaissante. Il m’a appris la bienveillance. Il m’a appris à m’accepter telle que je suis, et pas juste physiquement.
Question 3: Est-ce que tu considères que tu t’en es sortie? Quel a été le déclic?
Oui, je m’en suis enfin sortie. C’était comme sortir de prison. J’étais enfin libre. Libre d’apaiser la faim, qui me tenaillait pratiquement 24 heures sur 24 quand le trouble était présent. Libre de manger à nouveau les aliments qui me plaisaient tant, mais que le trouble m’avait poussée à éliminer. Libre de penser à autre chose qu’à la nourriture. Libre de faire mes activités sans contraintes liées à l’heure des repas. Libre de manger à nouveau avec des amis.
Et une fois que j’ai goûté à cette liberté, j’ai tout fait pour la conserver.
Il n’y a pas eu un déclic en particulier, mais plusieurs indices. Tant que mes comportements liés au trouble étaient « acceptables », ça allait. Mais quand j’ai réalisé que je mettais le cadran, même en vacances, pour aller courir le matin, pas par plaisir, mais par obligation; quand j’ai commencé à me cacher pour prendre mes repas, par peur qu’on juge mes portions; quand j’ai commencé à mentir pour justifier le fait que je ne mangeais pas; quand je me suis improvisée végétarienne pour me donner une excuse pour ne pas manger de viande; quand j’ai commencé à me cacher pour me peser, plusieurs fois par jour; et quand j’ai compris l’exemple que j’étais en train de donner à mes enfants, c’est là que j’ai compris que je devais faire quelque chose.
Question 4: Quels ont été tes moyens pour y arriver? Sinon, as-tu un plan pour t’en sortir?
Quand j’ai réalisé que j’avais un problème, j’ai beaucoup lu sur le sujet. Mes comportements correspondaient à l’anorexie, mais pas mon profil – je n’étais pas une adolescente, je n’étais pas extrêmement maigre, j’étais encore menstruée (sauf vers la fin). Je ne me croyais pas assez malade pour demander de l’aide.
Mais un jour, j’en ai parlé à mon médecin, qui m’a envoyée voir une psychiatre, qui m’a confirmé que je souffrais bel et bien d’anorexie. J’ai ensuite entamé des démarches auprès de la Maison l’Éclaircie, qui m’a soutenue dans ma démarche de rétablissement.
Question 5: Quel lien entretiens-tu avec ton poids, la balance et ton image corporelle?
La balance a été le baromètre de mon humeur pendant des années. Si elle pointait dans le sens espéré, j’étais heureuse. Inversement, ou même si elle ne bougeait pas, j’étais découragée. À un certain point, je me pesais plusieurs fois par jour. En cachette.
Je n’ai plus mis les pieds sur une balance depuis des années – sauf chez mon médecin, qui m’autorise à y monter de dos, de manière à ne pas voir le résultat – et je m’en porte beaucoup mieux. Je n’ai pas besoin qu’un appareil dicte mon humeur.
Quand j’ai entrepris ma démarche de rétablissement à la Maison l’Éclaircie, je savais que j’allais prendre du poids, et c’était ce que je craignais le plus au monde. C’est paradoxal, quand on y pense, que guérir de la peur de grossir passe par le fait de grossir (dans mon cas). Mais la liberté gagnée compensait largement la prise de poids.
Aujourd’hui, je respecte mon corps, je lui suis reconnaissante pour ce qu’il me permet de faire, je ne m’attarde pas sur les aspects qui me plaisent moins. De là à l’apprécier… c’est une autre histoire. Mais je préfère de loin vivre avec mes rondeurs et être bien dans ma tête qu’être mince et ne plus avoir de vie.
Question 6 : Quels moyens prends-tu pour gérer tes émotions ou pour te changer les idées?
Le yoga, la méditation et la marche en nature jouent un rôle important dans ma démarche de rétablissement. Ils m’aident à reconnecter avec mon corps et avec mes émotions, à ralentir, à cultiver la bienveillance à mon égard.
Question 7 : Comment était ta relation avec la nourriture quand tu étais plus jeune?
La saine alimentation étant une valeur importante dans ma famille, j’ai vite appris à classer les aliments comme étant « bons » ou « mauvais » et, par extension, à juger les gens qui les consommaient – dont moi – comme étant respectivement « supérieurs » ou « inférieurs ». Plus tard, je jugeais le contenu des paniers d’épicerie, j’étais gênée d’acheter de « mauvais » aliments par peur d’être jugée moi aussi. Pour moi, « bien » manger était synonyme de discipline, de rigueur et de minceur. Inversement, j’associais le fait de « mal » s’alimenter au laisser-aller, à la paresse et à l’embonpoint. Aujourd’hui, je sais qu’il s’agit de grossophobie et j’essaie de me défaire de ces faux raisonnements. Mais ils sont ancrés depuis si longtemps et si renforcés par la culture des diètes qu’il me faut travailler fort pour y arriver…
Question 8 : Si tu pouvais retourner avant ton trouble alimentaire, que dirais-tu à la personne que tu étais?
Je lui conseillerais d’arrêter de se comparer et de croire en sa valeur.
Étant de nature calme et introvertie, j’ai souvent l’impression de ne pas être à ma place dans cette société où parler fort, être dynamique et avoir une opinion est si valorisé.
Dès que je suis confrontée à une personne qui agit ou qui pense différemment de moi (donc dès que je suis en relation avec un autre être humain !), mon réflexe est de me remettre en question et d’en conclure que c’est moi qui suis à côté de la plaque.
Aujourd’hui, j’essaie (je dis bien : j’essaie…) de ne pas me dévaloriser systématiquement.
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Parce qu'on n'est pas juste ça!
Quelle chanson écouterais-tu en boucle ?
Le chant des oiseaux, le bruit des vagues, le vent dans les arbres, la pluie qui tombe, les grenouilles au printemps, le silence…
Qu'est-ce qui te rend heureuse?
Rire avec mes enfants et mon amoureux, lire un bon roman, voir de beaux paysages.
Quel rêve caresses-tu?
Écrire un livre.
Quel livre ou quelle œuvre apporterais-tu sur une île déserte?
Un roman d’Harlan Coben.
Quel a été le plus beau jour de ta vie?
J’ai vécu tant de beaux moments qu’il me serait difficile de n’en choisir qu’un. La naissance de mes enfants et nos voyages en famille demeurent parmi mes préférés.
Quelle est ta série télé préférée?
- J’aime bien les émissions de rénovation et de construction.
De quoi es-tu la plus fière à ce jour?
De mes enfants, d’avoir obtenu un bac avec trois jeunes enfants, d’exercer un métier que j’aime et de m’être sortie du trouble alimentaire.
Quel est ton moyen ultime pour te relaxer?
Méditer.
Quelles valeurs te tiennent à cœur?
Le respect, le calme.
Quelle qualité préfères-tu chez toi?
Ma capacité à me mettre dans la peau des autres, à voir les deux côtés de la médaille.
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